La fondatrice de l’école bilingue Tutti Frutti, Mme Pitisci, a passé la majeure partie de sa vie à favoriser l’épanouissement des enfants multilingues.
En plus de diriger l’école, de développer sa pédagogie et sa philosophie et de former ses enseignants, elle a publié plusieurs ouvrages sur le sujet.
Entretien avec la directrice/fondatrice de l’école bilingue Tutti Frutti
D’après votre expérience, y a-t-il un meilleur moment pour commencer à apprendre les langues ?
Au plus tôt au mieux !
Nous savons que les jeunes enfants sont comme des éponges. Cependant, leur cerveau n’est pas encore complètement développé. Nous devons leur donner du temps, du soutien et un environnement rassurant.
Combien de temps faut-il à un enfant pour apprendre une nouvelle langue ?
Oh, c’est une question délicate !
Cela dépend de nombreux paramètres : la maturité de l’enfant, son intérêt, la durée de l’exposition à la nouvelle langue (combien de fois par semaine) ; si l’enfant est unilingue, bilingue …
Je dirais qu’il faut au moins un ou deux ans pour commencer à se familiariser. Cela signifie accepter la langue étrangère (et se sentir à l’aise), comprendre quelques mots et phrases clés.
Bien sûr, un enfant qui vit dans un nouveau pays apprendra la nouvelle langue assez rapidement (après quelques mois, s’il est exposé en permanence à la langue étrangère).
J’aimerais également ajouter un mot sur le mélange des langues : certains parents peuvent être réticents à l’idée d’une éducation bilingue parce que les enfants pourraient mélanger les langues – le verbe « mélanger » a souvent une connotation négative.
Pour moi, il s’agit de la magie de la créativité linguistique d’un enfant.
Il utilise les outils qu’il connaît et les assemble pour communiquer.
Une fois, j’ai entendu un enfant dire : « Je dois pipidoen » (« mélanger » le français et le néerlandais). A mon avis, c’est très positif : il a osé demander quelque chose dans une langue étrangère et il a compris intuitivement une règle de grammaire en mettant le verbe à l’infinitif à la fin de la phrase. Il s’est exprimé de cette façon parce qu’il ne connaissait pas l’autre façon. C’est la « mission de l’enseignant » de reformuler la phrase dans une langue : « Ik moet pipi doen ».
Quelles sont les meilleures méthodes pour enseigner les langues aux jeunes enfants ? Et quel type d’environnement favorise un apprentissage positif et efficace ?
Il est difficile de dire quelle est la meilleure méthode.
Pour les enfants (et j’ajouterais pour les adultes également), l’immersion totale est bien sûr efficace, mais elle n’est pas suffisante en soi. Elle peut même être déstabilisante et un peu effrayante.
Une approche bilingue est rassurante lorsque l’on commence dans une nouvelle langue et un nouvel environnement scolaire ou un nouveau pays.
L’environnement et l’attitude de l’enseignant sont essentiels : petites classes (à mon avis, il est impossible d’appliquer une pédagogie active avec de grands groupes), adultes bienveillants, ambiance chaleureuse, activités intéressantes et variées. Les enfants ont besoin de « faire des choses », d’être actifs. L’apprentissage est positif et efficace lorsque les enfants s’impliquent activement dans une activité. Les résultats ne sont pas toujours immédiats, mais ils porteront leurs fruits dans une perspective à long terme.
Combien de langues un enfant peut-il apprendre/parler confortablement ?
Il est également difficile de donner une réponse précise à cette question. J’ai vu des enfants se débattre avec une deuxième langue et d’autres se sentir parfaitement à l’aise dans cinq langues !
Ce que je dis souvent aux parents, c’est qu’ils doivent accepter que c’est un long processus. Évitons de mettre la pression sur les enfants.
Lentement mais sûrement. Un proverbe chinois dit qu’avec de la patience, les herbes deviennent du lait. D’un autre côté, cela dépend aussi de l’enfant : sa maturité, sa personnalité ; s’il se sent heureux et à l’aise dans de nouvelles situations …
Quel langage les enfants utilisent-ils lorsqu’ils interagissent ?
Ont-ils tendance à n’utiliser que leur langue maternelle ou à passer d’une langue à l’autre ?
Cela dépend beaucoup des amitiés et… des activités amusantes !
Je constate que les enfants de notre école (en particulier les élèves du primaire et de la maternelle) passent facilement de leur langue maternelle à une autre langue.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les enfants qui parlent deux ou plusieurs langues et pouvez-vous nous faire part d’idées pour les surmonter ?
Certains enfants sont perfectionnistes et ne veulent pas parler si ce n’est pas parfait !
D’autres préfèrent observer : cela ne signifie pas qu’ils n’apprennent pas (c’est presque le contraire).
Pour les adultes, c’est peut-être plus frustrant. Hum…
Je conseillerais aux adultes (parents ou enseignants) d’être patients, de comprendre la personnalité de l’enfant et le type d’intelligence qu’il possède (c’est-à-dire le type d’apprenant qu’il est), et bien sûr de le soutenir. Cela ne signifie pas qu’il faille tout accepter.
Au contraire, le cadre doit être clair (chaleureux, positif mais clair) pour les enfants (en particulier les plus jeunes).
Vous enseignez à des enfants depuis 20 ans. Quels changements avez-vous constatés entre le moment où vous avez commencé et aujourd’hui ?
D’une part, j’aimerais dire que les enfants sont les mêmes ! Ils veulent jouer, avoir l’attention et la confiance des adultes.
D’autre part, nous (les adultes) pensons qu’ils ont moins d’attention ou moins de franchise…
Puis j’observe leur enthousiasme : par exemple dans une activité comme un cours de cuisine ! Et je reste convaincue que le fond est le même !
Pouvez-vous nous parler un peu de votre école et de son histoire ?
Tutti Frutti a été fondée en 1997 en tant qu’école de langues pour les enfants âgés de 3 à 11 ans.
En 2003, nous avons ouvert l’école maternelle bilingue (avec des cours en français et une langue au choix parmi l’anglais, l’allemand, l’italien et le néerlandais).
En 2018, nous avons accueilli notre nouvel « enfant », l’école primaire (français plus anglais ou allemand, pour l’instant… en espérant qu’il y ait plus de langues à l’avenir !).
En 2000, la Commission européenne et la Communauté française de Belgique nous ont décerné le Label européen des langues – un prix qui encourage le développement de nouvelles techniques et initiatives dans le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage des langues, ainsi que l’amélioration de la sensibilisation interculturelle.
Comment voyez-vous l’avenir de Tutti Frutti ?
J’ai encore tellement de rêves pour Tutti Frutti !
Tout d’abord, être reconnu et soutenu serait une étape importante.
Cela nous permettrait d’innover encore, de continuer à améliorer la qualité, de soutenir le personnel enseignant, publier de nouveaux livres, proposer plus d’activités de plein air aux enfants…
Et qui sait, peut-être un jour d’avoir une plus grande structure !
Cette interview est tirée d’un article écrit par Francesca Furlani disponible ici.